Transition énergétique : sommes-nous à la hauteur ?

Edito de Pierre Julien COURNIL, Directeur Mobilisation et communication – Novembre 2024

Je ne crois pas nécessaire de refaire l’inventaire des démonstrations dramatiques et accablantes du réchauffement climatique en cours. Ni de rappeler par le menu qu’il n’existe pas à l’heure actuelle, d’alternative crédible à la sortie des énergies fossiles pour lutter contre ce phénomène.

Or, et je ne vous apprends rien, l’heure n’est pas à l’optimisme. A l’international, la trajectoire n’est hélas pas la bonne (cf débats COP29). Pire, les promesses faites aux industries des énergies fossiles par le tout récemment réélu Donald Trump à la présidence des États-Unis risquent de nous embarquer dans une magistrale sortie de route1.

En France, la préparation du budget de l’Etat 2025 prévoit un recul des investissements pour la transition écologique (moins 1,9 milliards d’euros alors qu’il devrait augmenter a minima de 10 à 12 milliards par an pour rester dans les clous de l’accord de Paris)2.

Et chez nous, à notre échelle, qu’en est-il ? Comme le propose cet adage de Marc Aurèle : « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre ». Si nous, acteurs de la vallée de la Drôme (habitant.e .s, entreprises, collectivités, associations) n’avons évidemment et collectivement pas le pouvoir de sauver le monde, nous avons toutefois notre part à faire.

L’adhésion de l’association Biovallée et des intercommunalités à la démarche « Territoire à énergie positive » (TEPOS) traduit leurs stratégies en matière de lutte contre le changement climatique. Adhérer à TEPOS, c’est viser un territoire neutre en carbone et 100% ENR à l’horizon 2050.

L’adoption de cette stratégie a été progressive ces deux dernières décennies. Nous ne pouvons que nous féliciter de cet engagement auquel notre coopérative entend également contribuer (pour 30% du total des objectifs à atteindre – cf programme Territoire d’Innovation Biovallée). Cette démarche nous a dotés d’une trajectoire concrète et adaptée aux enjeux spécifiques de notre territoire. Avec elle nous connaissons précisément quelle est la part de l’effort à faire pour et par la vallée de la Drôme dans la transition énergétique (en quantité d’énergie à économiser, -50%, et en énergie renouvelable à produire, +300% environ par rapport à 2019).

En corollaire, nous savons également que ne pas atteindre ces objectifs TEPOS c’est donc contribuer, à notre échelle, à atteindre +5 voire +6°C, ou plus, d’augmentation par rapport à l’aire préindustrielle d’ici 2100 (cf rapports du GIEC). Même si nous parvenons à faire la moitié du boulot, nous échouerons, pour notre part, à préserver l’habitabilité de notre planète. Pour nos enfants, pour le vivant, nous n’avons donc pas le droit de rater la cible.

Alors, plus de 10 ans après les premiers engagements pris dans notre vallée, n’avons-nous pas collectivement la responsabilité de tirer les premiers bilans ? Ne faudrait-il pas se préoccuper de savoir si nous sommes sur la bonne voie ou si, au contraire, nous faisons fausse route ?

C’est précisément la réflexion que je vous propose d’engager par cet édito. Et le constat est implacable…

A l’heure actuelle, et malgré les efforts consentis par les différents acteurs impliqués dans la transition énergétique locale, le décrochage par rapport à la trajectoire TEPOS est significatif. Si nous poursuivons sur cette lancée nous ne parviendrons qu’à 45 % de l’objectif en matière de production d’énergie renouvelable à horizon 2030 (Source : Analyse Impuls’ER), décalant le gros de l’effort (et quel effort!) sur la période 2040-2050. Du coté des consommations d’énergies, l’empreinte territoriale n’a même pas commencé à diminuer.

Pour l’illustrer, et en ce qui concerne notre coopérative, à l’échelle de la vallée de la Drôme, nous devrions, en septembre 2024, disposer d’une puissance de production photovoltaïque de 5 500 kwc pour rester sur la trajectoire TEPOS. La coopérative accuse un retard d’environ 40% de puissance installée. Pourtant cette puissance a été multipliée par 2,5 en 2 ans (soit plus du doublement de la puissance de ses installations par an).

dwatts octobre 2024


Côté collectivité, le constat est équivalent, même si celui-ci connaît des disparités d’une intercommunalité à l’autre et qu’il n’est pas nécessairement assumée de la même façon.


Source : CCD / commission énergie Diois

A DWATTS, il ne faut pas plus que ce constat (amer) pour nous interroger profondément. Comment faire plus, mieux et plus vite ? Comment rattraper ce retard qui s’accumule et qui rend toujours plus difficile la transition dans les temps ?

Autant vous dire que nous ne sommes pas à l’aise avec la question. Pourtant vous trouverez dans cette lettre d’info des débuts de réponses concrètes (exemple de la turbine à Aouste, de la réappropriation du parc éolien de la Seauve par les habitant.e.s, la première saison de chauffe d’une nouvelle chaudière citoyenne). Vous lirez les décisions prises par notre coopérative, difficiles et parfois à regret (comme le choix de ne plus financer directement les petits projets photovoltaïques de 9 kWc mais simplement de les accompagner pour concentrer nos moyens financiers sur les projets à plus fort impact). Néanmoins vous ne trouverez pas de solutions miracles. Il faut admettre que malgré tous nos efforts, malgré un développement rapide et remarquable de nos activités, nous ne sommes pas (encore) à la hauteur de l’enjeu. Toutefois, je veux croire qu’affronter cette réalité, dure, rude, déplaisante, constitue un passage obligé vers l’imagination de nouvelles stratégies, de nouvelles solutions.

Côté collectivités locales, les contraintes sont lourdes (et particulièrement financièrement par les temps qui courent). Cela explique une part des difficultés rencontrées. Mais elles n’expliquent pas tout. L’adoption de nouveaux Plan Climat (PCAET) ou autre Schéma de Directeur des Énergies Renouvelables (SDER) va évidemment dans le bon sens. Mais ces nouveaux plans ne doivent pas masquer notre retard.

Nous devons prendre collectivement la mesure de l’insuffisance des résultats obtenus jusqu’à présent, de notre incapacité à relever pleinement le défi de la transition énergétique dans l’ensemble de la vallée. Nous le devons pour espérer, demain, faire plus et mieux.

Alors, oui, la marche est haute, très haute.

Oui, les économies d’énergies que nous devons faire vont bouleverser nos modes de vies.

Oui, la transition énergétique va transformer nos territoires et nos paysages.

Oui, nous ne savons pas complètement comment nous y prendre pour techniquement mettre en œuvre et financer cette transition.

Oui, la question de l’acceptation sociale de ces changements est à la fois délicate et à fort enjeu d’un point de vue sociétale.

Oui, la transition énergétique n’est pas une sinécure (mais les conséquences du changement climatiques sont tout simplement insupportables)

Oui, ces affirmations nous mettent face à nos limites, face à nos craintes et à nos doutes.

Pour relever le défi, soyons clairvoyants et solidaires. Prenons conscience, que toutes les initiatives sont bonnes à prendre, qu’elles ne sont pas concurrentes, qu’elles sont complémentaires. Mesurons, au combien, nous avons besoins de toutes les bonnes volontés.

Seule l’alliance de l’action publique et citoyenne peut garantir une transition énergétique à l’image du territoire et à son profit. Seul notre solidarité et nos coopérations locales pourront empêcher que notre patrimoine naturel et sociale soit la proie de promoteurs et d’investisseurs désincarnés et désintéressés du sort de notre vallée. C’est également des réflexions qui sont menées au sein de l’association Biovallée, avec notamment une conférence « La coopération : clé de la réussite ? » ce mercredi 27 novembre prochain.

Puisse cet édito contribuer à voir la réalité en face et nous exhorter à accélérer ensemble l’indispensable transition énergétique dans notre vallée.

Pierre Julien COURNIL, Directeur Mobilisation et communication

-> Lire l’ensemble de la lettre d’information de novembre 2024.

DWATTS

  1. article du Courrier international du 07/11 « Donald Trump, une catastrophe annoncée pour le climat » ↩︎
  2. article Reporterre du 11/10/2024, Budget 2025 : « La somme dédiée à la transition écologique n’est pas à la hauteur » ↩︎